Un comité qui ignore ceux qui consultent et encouragent la lecture

26 juin 2025

Le vendredi 20 juin 2025, la Maison de la culture Douta Seck a été le théâtre d’une cérémonie d’une gravité toute particulière, marquée par une solennité imposante. Cet événement a été l’occasion d’installer officiellement le comité scientifique en charge du Forum national sur le Livre et la Lecture, une étape que certains ont voulu célébrer avec une certaine fierté. Pourtant, dès les premières lueurs de cette installation, il ne fallait pas être grand clairvoyant pour constater que ce comité avait été conçu, dans ses fondations mêmes, de manière à écarter toute réelle proximité avec le terrain concret et ses réalités vécues.

Au sein de cette assemblée, les membres se composaient principalement de directeurs en masse, si nombreux qu’on aurait pu penser à un casting pour une nouvelle version de « Directeurs sans frontières ». La diversité institutionnelle était de mise, avec la présence massive de responsables de musées, d’écoles, de théâtres à l’échelle nationale, ainsi que d’éditions d’État et de différentes couches ministérielles, allant des ministères principaux aux sous-ministères, en passant par des « sur-ministères » et autres entités administratives plus ou moins proches du sommet administratif. Cependant, en dépit de cette représentation impressionnante, aucune institution liée directement à la filière du livre n’a été conviée : ni libraires, ni bibliothécaires, ni imprimeurs, ni journalistes spécialisés dans la culture littéraire, encore moins les médiathèques de quartier. Une telle composition laisse supposer que ce comité, censé représenter la voix du livre, ignore délibérément les acteurs qui le font vivre au quotidien.

En définitive, un comité scientifique du livre sans la présence de libraires, c’est un peu comme une soupe sans cuillère, un orchestre privé de musiciens, ou encore, comme une bibliothèque dont on aurait vidé tous les livres. La comparaison pourrait continuer, mais l’idée est claire : il manque l’essentiel. Alors que le collectif Parlons Poésie avait pourtant lancé une pétition clamant l’importance d’une représentation intergénérationnelle et plus inclusive, leur démarche semble être restée sans écho. L’installation du comité s’est faite dans une sobriété protocolaire qui n’a laissé place qu’à une formalité bien rodée, laissant penser que tout était en place, sauf ceux qui sont réellement à la source de la vitalité du livre.

Mais que fait donc ce comité ?

Officiellement, la mission de cette instance est d’ »engager la mise en œuvre des orientations définies par le Ministre, conformément aux instructions du président ». Autrement dit, ce comité bénéficie d’une liberté limitée, voire factice, dans ses actions. Il a également pour tâche de « proposer des contenus culturels, des animations, des rencontres professionnelles »… mais avec qui, précisément ? La réponse demeure mystérieuse. Car si l’on en croit les déclarations officielles, les professionnels du livre semblent exclut du cercle décisionnaire, laissant la place à des institutionnels souvent déconnectés des réalités du terrain.

Cependant, les questions fondamentales restent sans réponse, et leur illustration ne pourrait être plus frappante :
– Où sont passés les libraires indépendants, ces petits acteurs qui tentent de survivre dans un contexte d’inflation galopante et de très faibles soutiens institutionnels ?
– Qui pourra parler au nom des jeunes écrivains, encore peu représentés dans ces sphères administratives, ceux que les grandes directions générales n’ont pas encore assimilés ?
– Qu’en est-il du numérique, de la montée en puissance des livres audio, des médias sociaux littéraires ou encore des podcasts spécialisés, autant de formes contemporaines de diffusion qui mériteraient d’être discutées ?
– Les traducteurs, correcteurs, illustrateurs, imprimeurs, ces artisans essentiels au monde du livre, sont-ils seulement invités à la table, ou bien restent-ils des figures invisibles, reléguées à l’ombre ?
– Enfin, la question la plus cruciale : à quel moment allons-nous consacrer une véritable écoute à ceux qui, au quotidien, vivent le livre en dehors des murs feutrés de ce comité, loin des bureaux climatisés et des réunions protocolaires ?

À ce rythme, la crainte est grande que l’on voit poindre la création d’un « Forum sur la Lecture » qui se révélera, en réalité, un espace sans lecteurs ; d’un « Comité du Livre » tourné uniquement vers des livres figés dans l’immobilité ; ou encore d’une « Vision du Futur » conçue depuis un bureau hermétique, déconnecté de la vie réelle du livre et du lecteur.

Il est légitime de se demander si cette conception a été inspirée par un scénario dystopique, tel qu’on l’apprend dans certains romans compromettants, où « 1984 » rencontre le cahier des charges stricts et uniformisés imposés par une bureaucratie oppressante. Une telle perspective pousse à souligner, avec acuité, qu’il serait souhaitable d’alléger la surcharge de titres pompeux et protocolaires, pour privilégier une approche plus humaniste : davantage d’écoute, moins de formalismes impersonnels, plus de littérature vivante plutôt que de simples formalités administratives.

Ce n’est qu’en donnant une véritable place à ceux qui font du livre leur souffle de Vie, en leur laissant la parole et en leur conférant l’espace nécessaire pour s’exprimer, que l’on pourra envisager une programmation réellement représentative, qui reflète la richesse et la diversité du territoire littéraire. La culture du livre mérite mieux qu’un simple exercice de façade, que cette mise en scène de convenances, qui semble éloignée de la réalité de ceux qui bâtissent, chaque jour, l’univers de la lecture.