A bien des égards, l’arrivée d’Ousmane Sonko en politique est une bonne nouvelle pour la démocratie sénégalaise. Quand le président de l’Alliance de la République (APR) affichait sa volonté de réduire son opposition à sa plus simple expression, personne ne pouvait se douter qu’il userait de moyens judiciaires pour y arriver. Après avoir mis entre parenthèses les ambitions présidentielles de farouches opposants en 2019, en l’occurrence Khalifa Sall et Karim Wade, le même procédé est utilisé pour anéantir Ousmane Sonko dont la montée de la popularité a donné du tournis au plus haut sommet de l’Etat. C’est encore une décision de justice, ou devrons-nous plutôt parler de décisions (au pluriel)) qui viennent porter l’estocade à celui que la majorité des jeunes identifient comme le « projet » et dont la carrière en politique est faite de batailles sans discontinuer.
Son entrée en politique est marquée par sa ligne de conduite consistant à ne pas taire ce que les politiciens avant lui trouvaient normal. Les détournements, les malversations, les contrats nébuleux, le fisc, Ousmane Sonko a rendu avec son éclosion le débat politique plus technique. Non seulement technique mais aussi et surtout utile, loin des diatribes et attaques ad personam. Radié le 30 août 2016, à cause justement de ce qu’ils déballaient et qui a été considéré comme violation de son droit de réserve par sa hiérarchie, le leader du parti « Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité ou PASTEF (fondé en 2014) est vite adopté par un peuple en soif de vérité et d’honnêteté.
Un langage de vérité qui attire
Son langage ferme et souvent radical envers les adeptes de gestion hétérodoxe finira par le placer au centre de l’intérêt des citoyens lambda. Et pas que, puisque de plus en plus de cadres de l’administration centrale et des enseignants s’identifieront à cette formation politique qui visiblement n’est pas un parti de plus. Pour tout le temps qu’il aura existé, le Pastef n’a cessé d’être vu comme l’antisystème qui doit venir à bout d’un système de mauvaise gestion érigé en coutume. Or, cette idéologie dérange, les prises de parole d’Ousmane Sonko encore plus, et de là il commence à être pris au sérieux.
La première confrontation entre Sonko et Sall, puisque c’est de ça qu’il s’est toujours agi, a commencé avec la radiation du premier nommé de la fonction publique. Un mal pour un bien puisque l’ancien inspecteur des impôts et domaines surfera à merveille sur ce que beaucoup considèrent comme une injustice pour augmenter son aura. Et naturellement sa popularité a grimpé au fur et à mesure, soutenu par des Sénégalais qui vont l’élire député en 2017 pour lui permettre de prendre sa revanche sur un système déterminé à le faire plier.
Comme si le régime tombait de Charybde en Scylla avec le jeune homme politique qui s’identifie à Mamadou Dia et Cheikh Anta Diop, l’entrée forcée d’Ousmane Sonko dans l’hémicycle est une aubaine pour ce dernier de déballer en toute légalité toutes les incongruités dont les autorités sont auteures. Et ses attaques bien préparées et documentées devant les ministres de passage pour le vote de leur budget auront gravement délabré l’image du régime en place.
Une montée de popularité inédite
La montée de la popularité de l’homme, arrivé troisième à la présidentielle de 2019 avec plus de 15%, a empêché le système, bien que réélu avec 58,26% au premier tour, de tourner en rond. A parti de ce moment, et profitant du rapprochement d’Idrissa Seck et de Macky Sall en novembre 2020, M. Sonko s’impose comme le chef de l’opposition. Une position qu’il renforce avec son armada digitale qui abat un travail colossal sur les différents réseaux sociaux. Sans passer par les médias classiques, lesquels courent toujours derrière lui pour une entrevue ou une simple déclaration, l’opposant désormais numéro un de Macky Sall tisse sa toile sur le Web et gagne en audience à travers ses nombreux directs.
Cependant, ce qui a le plus boosté la popularité de M. Sonko après la présidentielle de 2019, est l’affaire du viol présumé sur la masseuse Adji Sarr, à partir de février 2021. Malgré le contexte du covid-19, ce dossier a ravi la vedette au coronavirus et renforcé le soutien exprimé à l’homme politique par beaucoup de Sénégalais qui ne s’intéressaient même pas à l’activité politique. Contre toute attente, ce qui devait affaiblir l’opposant, l’a rendu plus costaud et quand bien même il s’agit d’une affaire de mœurs, dans un pays très attaché aux valeurs culturelles et religieuses, la solidarité envers M. Sonko a été très forte. Accusé de comploter contre lui pour l’éliminer comme ce fut le cas avec Karim Wade et Khalifa Sall, le régime de Macky Sall fera face à des manifestations éclatées lors de sa première audition dans le cadre de cette affaire, en mars 2021, ont causé un chaos jamais vécu au Sénégal avec un bilan lourd en pertes matérielles et humaines.
Des procès politisés et une mise à mort politique
Comme s’il se nourrissait d’oppositions et d’épreuves, le patron du Pastef va, dans le cadre de la coalition Yewwi Askan Wi qu’il forme avec d’autres ténors de l’opposition, réduire le pouvoir à sa plus simple expression aux élections locales de janvier 2023 pour ensuite lui imposer une quasi cohabitation lors des législatives de cette même année. A moins de deux ans de la présidentielle 2024, Ousmane Sonko se retrouve dans un cercle infernal de procès qui dès le début montrent une visée politique: l’empêcher d’être candidat à la présidentielle.
Poursuivi dans l’affaire du Prodac pour diffamations, il est condamné en appel à six mois de prison le 8 mai dernier, après une peine en première instance qui ne menaçait nullement son éligibilité. En effet, l’appel introduit par les conseils de Mame Mbaye Niang n’avait d’objectif que de le mettre hors course. Rejugé ce 4 janvier, le pourvoi en cassation des avocats de Sonko n’empêchera pas la mise à mort politique de leur client puisque le verdict en appel est confirmé par la Cour suprême. Cette confirmation douche les espoirs de ces millions de Sénégalais, assoiffés de changement, et qui ont tout donné pour le « projet » comme ils l’ont toujours appelé.
Des perspectives sombres
Avec le verdict de ce 4 janvier donc, l’Etat remporte une grande victoire. Une victoire personnelle qui intervient des mois après son emprisonnement et la dissolution de son parti en aôut dernier. qui a mobilisé beaucoup de l’argent du contribuable et qui n’est d’aucune utilité publique. La vérité est que les contribuables sénégalais, pour la plupart, avaient plus à gagner dans une direction des affaires publiques plus orthodoxe et mieux éclairée. Eliminer l’antisystème pour perpétuer le système, voilà tout ce que les « gens d’en-bas » ne pouvaient pas s’attendre.
Khalifa Ababacar GAYE est diplômé en Langues, littératures et Civilisations du Monde Anglophone, à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Depuis plus de 6 ans, il est professeur d’anglais à Matam. Passionné d’écriture, il est poète et depuis 2017, chroniqueur régulier à SeneNews.Com