Ousmane Diagne : face à l’adversité et seul contre tous

22 juillet 2025

Le ministre de la Justice face à une tempête morale et politique

Malgré une pression intense émanant de multiples directions, notamment en provenance de ses propres campements, le ministre chargé de la Justice s’efforce de maintenir sa position, refusant d’exercer des pressions sur la justice. Sa position lui vaut d’être ciblé par plusieurs hauts responsables du Pastef, qui manifestent clairement leur irritation face à la liberté dont il fait preuve dans l’exercice de ses fonctions. La situation montre combien respecter les principes fondamentaux dans la gouvernance est une démarche risquée au Sénégal. En effet, lorsqu’un homme politique détient la majorité du soutien populaire, il semble souvent croire qu’il est tout permis. D’ailleurs, certains dirigeants actuels, qui étaient autrefois opposants radicaux, paraissent penser que même les magistrats doivent se soumettre à leurs volonté. Depuis que le Premier ministre a lancé des attaques virulentes à l’encontre de l’institution judiciaire, le pays semble vivre presque au rythme d’un épisode quotidien où des responsables en prennent explicitement à cette institution.

Une demande de démission surprise en direct

Hier encore, sur le plateau de la RSI, le 3ème vice-président de l’Assemblée nationale, Cheikh Thioro Mbacké, a dépassé les limites en formulant une requête explosive. Il a explicitement demandé la démission du ministre de la Justice, Ousmane Diagne, lorsqu’il a accusé la justice de ne pas assurer correctement sa mission. Selon lui, la population sénégalaise dans son ensemble n’est pas satisfaite de la justice, à l’exception des membres de l’APR. Il accuse également les militants de Pastef d’être constamment stigmatisés, et estime qu’un remaniement ministériel serait nécessaire, afin de remplacer certains responsables par de nouvelles figures qui seraient mieux alignées avec leurs objectifs politiques. Cheikh Thioro Mbacké a déclaré : « Il faut un remaniement, mettre au sein de la justice des gens qui vont mettre en œuvre notre politique. »

Selon lui, cette opération de « nettoyage » ne doit pas se limiter au seul ministère de la Justice. Il évoque également des magistrats, ainsi que des membres des forces de défense et de sécurité, qui seraient porteurs d’une haine envers le président Ousmane Sonko. Il estime que Pastef doit prendre ses responsabilités, car ses responsables ont été élus par les Sénégalais, et que si le mouvement ne le fait pas, le pays restera dans le désordre. Il a également insisté sur le fait que le président de la République devrait écouter ses partisans, notamment les militants, arguant que ce sont eux qui ont été victimes d’intimidation, voire de violence ou d’emprisonnement. Lorsqu un journaliste lui a demandé si le président doit privilégier l’écoute des militants de Pastef ou celle des citoyens en général, Mbacké a répondu : « Il faut écouter les militants, parce que ce sont eux qui ont été tués, ce sont eux qui ont été emprisonnés. »

Une justice décriée des deux côtés du spectre politique

Contrairement à l’affirmation de Cheikh Thioro Mbacké, qui minimise la crise institutionnelle en criminalisant uniquement la justice, le camp adverse s’implique également dans ces dénonciations. Opposants politiques et membres de la société civile n’hésitent pas à critiquer la justice, qui, selon eux, ne serait pas impartiale. Depuis la victoire de Pastef au pouvoir, plusieurs leaders d’opinion, ainsi que des journalistes, ont été poursuivis, souvent pour avoir tenu des propos jugés offensants à l’encontre du Premier ministre ou d’autres responsables du mouvement. Parmi ces personnes, on peut citer Assane Diouf, Abdou Nguer, Moustapha Diakhaté ou Badara Gadiaga. Plusieurs de ces citoyens ont été placés en détention en dépit de preuves laissant supposer l’existence de délits flagrants, certains étant en prison depuis plusieurs semaines, d’autres même depuis plusieurs mois, tout cela sous un prétexte d’instruction judiciaire.

Les accusations d’arrestations pour motifs d’opinion

L’opposition ainsi que la société civile dénoncent vigoureusement ces arrestations, qu’elles qualifient d’arbitraires et en lien avec des délits d’opinion. La contestation ne se limite pas aux opposants politiques à Pastef, puisque des responsables de l’Alliance pour la République (APR) eux aussi dénoncent le système judiciaire, jugé partial. Récemment, suite au placement sous mandat de dépôt de Badara Gadiaga, un chroniqueur, Maître Oumar Youm a qualifié cette décision de « prise d’otage politique » et d’« arbitraire judiciaire », dénonçant ce qu’il considère comme une instrumentalisation du parquet dans un contexte partisan. Il a ainsi critiqué la priorité donnée à des enjeux politiques au détriment du rôle véritable de la justice, en déclarant : « Ce qui se passe est extrêmement grave. Nous avons un parquet qui ressemble plus à un outil politique qu’à une instance judiciaire indépendante. »

Au-delà de ces controverses, la problématique centrale ressort des dossiers en lien avec le Premier ministre. Certains observateurs pensent que la récente série de déclarations du leader de Pastef, ainsi que la décision de la Cour suprême concernant Mame Mbaye Niang, ne seraient pas de simples coïncidences. La convergence temporelle de ces événements alimente la suspicion d’un enjeu politique capital derrière tout cela.

Une justice sous pression mais souhaitant préserver son indépendance

Du côté du gouvernement, le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, affirme vouloir respecter la séparation des pouvoirs. Lors d’un discours à l’Assemblée nationale, il a rejeté toute tentative de pression sur la magistrature, déclarant : « Je n’ai jamais accepté, en tant que magistrat, qu’on me fasse pression. Qu’on ne compte pas sur moi pour exercer la moindre pression sur les magistrats du siège. Je n’ai aucune autorité sur eux. » Par ailleurs, il a aussi affirmé préférer défendre une justice indépendante et de qualité, soulignant que cette dernière pouvait rendre des décisions conformes à la loi, même si celles-ci ne vont pas toujours dans le sens de ses propres préférences.

Il a également évoqué la qualité du travail judiciaire, insistant sur le fait que des décisions de relaxe ou de classement sans suite ont été prises, assumant pleinement ces choix, même si certains pourraient les trouver contestables. Selon lui, la justice a évolué pour mieux répondre aux attentes de la société, et tout opposant ou critique doit reconnaître qu’elle ne désavantage pas systématiquement ceux qui se trouvent en difficulté avec le pouvoir.

Le parcours d’un magistrat courageux et défiant la hiérarchie

Ousmane Diagne n’est pas un novice dans le domaine judiciaire. Sa figure est celle d’un magistrat ayant déjà affronté les pressions et les déconvenues, même avant d’accéder à la fonction ministérielle. Son attitude courageuse lui a valu plusieurs confrontations avec ses supérieurs, notamment sous la présidence de Wade, où il a résisté à plusieurs tentatives de l’intimider ou de le contraindre à agir dans un sens qu’il désapprouvait. Son historique témoigne de sa détermination à défendre l’indépendance judiciaire.

Témoin de ces luttes, le député Bara Gaye a souvent évoqué la personnalité forte et intègre d’Ousmane Diagne. Il rapporte que, durant ses années au sein du régime Wade puis sous Macky Sall, Diagne a toujours résisté à la pression de se conformer à des ordres qu’il trouvait injustes ou contraire à ses principes. Bara Gaye se souvient qu’il a toujours considéré Diagne comme un homme de courage, capable de refuser de se plier à des exigences politiques, notamment lors des périodes délicates où ses décisions touchaient à des enjeux hautement sensibles. « Je garde en mémoire qu’il a toujours refusé de se laisser manipuler, qu’il a toujours insisté pour faire respecter la justice selon ses propres principes », affirme-t-il.

Un magistrat qui refuse la compromission

La constance dans ses principes a toujours été le trait caractéristique du parcours d’Ousmane Diagne. Même dans des moments difficiles, il n’a jamais cédé face à la pression politique. Au contraire, il a souvent été victime de réprimandes et de sanctions, notamment lors de sa dernière période d’activités sous Macky Sall en 2023. C’est en cette année que plusieurs dossiers liés à Ousmane Sonko ont été ouverts: investigations sur le rapport Covid, procédures contre des figures du régime, malgré une opposition farouche.

Lors de sa première révocation en 2013, il avait laissé entendre que ses engagements professionnels l’avaient souvent placé en conflit direct avec ses supérieurs. Son attitude a toujours été celle de la fermeté, et il a constamment insisté sur son devoir de dire non lorsque ses principes étaient en jeu, en affirmant qu’il privilégiait le respect de l’indépendance de la justice au détriment des pressions et des compromissions. Son soutien moral et politique demeure intact, et il continue de symboliser cette figure du magistrat courageux, refusant de plier devant la pression politique, qu’il s’agisse de ministres ou de présidents.