On ne peut nier que Ousmane Sonko est un phénomène politique majeur. Obtenir une mobilisation d’une envergure considérable dans une région éloignée du Sénégal n’est pas une mince affaire. Dans le paysage politique sénégalais, personne n’aurait su reproduire pareille prouesse.
Sur les terres de Monza, là où résonnent encore les rugissements des bolides de Formule 1 jadis lancés sous l’ancien régime, il a imposé le silence à une foule vaste, turbulente et survoltée, confinée avec difficulté dans un stade aussi plein qu’un œuf. Et il a tenu sa promesse: le public s’est fait silencieux.
C’était tout le savoir-faire pour réduire au silence, prendre le contre-pied et faire comprendre à tous qu’il demeure une bête politique hors du commun.
Les spéculations sur une liaison fragile avec le chef de l’État ne manquaient pas; et le voilà qui se montre dans son bureau, à l’aise et en complicité apparente, en train d’affiner la liste des remaniements.
Critiqué sur son pouvoir, il le consolide pourtant avec l’assentiment du président, celui avec qui l’on aurait souhaité le voir se brouiller et hisser ses affidés à des postes stratégiques dans les ministères de la Justice et de l’Intérieur.
On lui reproche sa manie de rester en coulisses; lui, prend soudainement des virages, tête tournée vers la Chine, la Turquie, les Émirats arabes unis et l’Italie.
Comment le réduire au silence lorsqu’il semble que tout parle en sa faveur ?
Émouvoir son auditoire tout en évoquant les intérêts de la diaspora, tel fut le tour de force du Premier ministre, et président du Pastef, à Milan.
Personne d’autre ne maîtrise aussi habilement les équilibres: d’une part, le Premier ministre en charge du Plan de Redressement Économique et Social, embarquant les ministres dans l’explication du document; d’autre part, le président du Pastef qui s’érige en tribune, interpelle, dénonce les pratiques inappropriées et exhorte à la remobilisation.
A Milan, le premier ministre a brillamment accompli le numéro dans lequel il excelle, celui du chef des Patriotes. Ceux qui doutaient de sa capacité à mobiliser et qui le réduisaient au rang d’oubli devront patienter. Placé face à un public, la même énergie et la même éloquence refont surface, comme par magie. Sa ténacité demeure intacte, plus vive que jamais. Il invitera les Sénégalais à ne pas s’abandonner aux ragots, à élever le niveau du débat, à prioriser le développement comme condition sine qua non du perfectionnement du pays. Parlons économie, civisme, résumera-t-il. Il leur expliquera qu’il peut pardonner ce qui lui est personnel, mais pas ce qui est collectif. Ce n’est pas de la vengeance, mais de la justice. La foule, conquise, scande du haut des gradins, en écho à ses mots: « Justice! » « Justice! ». Le lien avec le public est scellé. L’atmosphère est électrique. La différence avec le leader des Patriotes en campagne est qu’ici il ne croise aucun rival politique avec lequel en venir aux droits. Son adversaire, c’est la crise — celle dans laquelle ses prédécesseurs ont plongé le Sénégal. C’est ce qu’il appelle le « deuxième sous-sol ». Il est venu à Milan pour exposer les méthodes afin de vaincre ce adversaire. La diaspora est venue en force, partout en Europe, tous réunis.
Le ministre des Finances, C. Diba, a invité ces diasporas qui furent successivement des ambassadeurs culturels à devenir désormais les acteurs privilégiés du développement national. Il leur a annoncé l’émergence des futurs diaspora bonds, une véritable opportunité pour faire fructifier leur épargne et participer au Plan de redressement économique et social en cours.
Le ministre du Numérique, A. Sall, s’adressera à eux au sujet d’un nouveau pacte technologique: le New Deal numérique, le e-visa, l’identité numérique, l’allongement à dix ans de la validité des passeports, la dématérialisation des démarches administratives et d’autres mesures similaires.
Le Premier Ministre rappellera que les gestes posés dans le cadre du PRES s’inscrivent dans la durée, même si l’urgence est palpable.
Les opposants, comme à l’accoutumée, s’adonneront à des critiques creuses et aisément réfutables, alors même qu’ils portent la responsabilité d’un déficit abyssal et qu’ils n’ont pas présenté d’idées neuves pour construire le PRES.
« Tracer la route » et « rester focus » furent sa réplique implicite.
Tidiane Sow est coach en communication politique.