Massafou, réalisateur de « Nganouma », revient sur l’absence des séries pulaar à la télévision

27 juillet 2025

Avant de lancer Welii Prod, Mouhamadou Thioub a rapidement pris conscience du vide important qui existait en matière de contenus audiovisuels en pulaar sur les écrans. En tant que réalisateur et producteur, ce fils originaire de Matam a décidé de miser sur la formation, un retour à ses racines et la valorisation de l’identité locale pour donner vie à une série en pulaar diffusée à la télévision sénégalaise : « Nganouma ». Ce projet représente une véritable célébration de la paix, de la tolérance et du vivre-ensemble.

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Nganouma, une respiration nouvelle dans le paysage audiovisuel sénégalais

Ce feuilleton constitue une bouffée d’air frais dans le panorama audiovisuel du Sénégal. Diffusée à raison de cinq épisodes par semaine, du lundi au vendredi à 14 heures, sur la chaîne Canal+ Pulaagu, cette série déploie un message profondément axé sur la paix, la tolérance et la coexistence harmonieuse. Elle a été pensée et réalisée par Mouhamadou Thioub, connu également sous le nom de Massafou. La fiction raconte l’histoire d’un amour contrarié par une rivalité ancienne entre deux familles. La première famille appartient à Abdoulaye, joué par Abdoulaye Dicko, et la seconde à un imam, campé par Abdoul Yérim Ndiaye. Les protagonistes de ces familles, Rougui et Vito, respectivement incarnés par des jeunes acteurs, tombent amoureux l’un de l’autre, mais leur relation est freinée par la rigidité de leur environnement familial. Dans cette région où l’identité culturelle est profondément ancrée, Nganouma, qui signifie « dilemme » en pulaar, devient un projet d’envergure socioculturelle. « Personnellement, je ne m’étais jamais imaginé que les séries en pulaar passeraient à la télévision, » confie-t-il, tout en précisant que cette situation ne l’a pas « révolté », mais l’a plutôt motivé à agir. Sa réflexion l’a conduit à se former sérieusement. « Je savais que le vrai problème ne résidait pas dans le fait que les gens ne voulaient pas voir des séries pulaar, mais plutôt dans le manque de techniciens qualifiés et de productions de qualité capables de passer à l’antenne. Pour y remédier, il était essentiel d’étudier et de se perfectionner, » explique-t-il, lors d’un entretien avec Le Quotidien.

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Un parcours tourné vers l’excellence et la formation

Formé à l’Institut supérieur des arts métiers du numérique (Sup Imax) à Dakar, Mouhamadou Thioub a ensuite décidé de retourner à Matam, sa ville natale, pour créer un centre socioculturel. L’objectif était de former des jeunes aux métiers de l’audiovisuel, une étape essentielle dans son engagement social avec Massafou Entertainment. À travers cette structure, il a lancé plusieurs événements, notamment le Festival Matam Art et Culture (Fesmac) et, en 2019, la Maison des cultures urbaines de Matam. Son parcours s’est par la suite internationalisé lorsqu’il a été admis à l’École supérieure des arts visuels (Esav) de Marrakech, où il a approfondi ses compétences en cinéma. C’est avec la série Nganouma qu’il souhaite concrétiser son rêve de développement local, en mettant en avant la culture pulaar et en valorisant la région du Fouta. Son ambition est de faire disparaître l’image stéréotypée associée à Matam, en présentant une image fidèle et positive de cette région. Pour lui, il est primordial de ramener des projets et des productions directement depuis la région, afin de renforcer la création locale.

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Une série engagée, tournée vers l’avenir

À travers la réalisation de cette série composée de 25 épisodes, chacun durant environ 26 minutes, Massafou veut également démontrer qu’il est possible de réussir en dehors de Dakar. « La mission a toujours été de développer des projets à Matam et d’encourager d’autres jeunes à croire en leur potentiel, » souligne-t-il. Son objectif est d’inspirer une génération qui pense que la réussite est exclusivement réservée à la capitale, en prouvant qu’on peut prospérer dans d’autres régions du pays, ou partout ailleurs. Son discours témoigne de sa volonté de voir la réussite enracinée dans les terroirs.

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Un projet soutenu par la population locale

La série Nganouma a pu voir le jour grâce à une coproduction avec Canal+ Pulaagu, ce que Mouhamadou Thioub ne manque pas de souligner. « Nous remercions nos partenaires, car ils se sont montrés présents là où nous avions besoin d’eux. » La production a été réalisée en plusieurs lieux, notamment à Matam, Kaédi (Mauritanie), mais aussi dans plusieurs localités du Fouta. Pour le casting, il a misé sur des jeunes acteurs locaux issus principalement de Ndouloumadji Dembé, Hodio, Boyinadji, Garly, Doumga Ouro Alpha, ainsi que de la commune de Matam. L’accueil du public local a été très positif. « Les habitants ont accepté le projet, ils l’ont adopté. La série a été tournée dans leurs villes et leurs rues, car c’est une histoire qui leur appartient, » explique-t-il avec fierté. Lors de l’avant-première, initialement attendue pour accueillir 500 spectateurs, plus de 3000 personnes ont répondu présentes, malgré la limite de capacité de la salle. « Cela montre à quel point les gens ont apprécié le projet, » ajoute-t-il. La série a également trouvé un public au-delà de Matam. « Beaucoup me disent : “On ne prend plus le repas à 14 heures, on attend la fin de la série”, » confie-t-il, témoignant d’un attachement profond du public à cette œuvre.

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Une œuvre qui prône l’harmonie et le respect interculturel

L’un des aspects importants de Nganouma est la manière dont elle aborde la coexistence religieuse et culturelle. L’histoire met en avant la cohabitation entre musulmans et chrétiens dans cette région. Massafou s’inspire de son vécu personnel, ayant grandi avec des amis catholiques. « À Matam, l’Église existe depuis plus de 50 ans, et peu de gens le savent. Il n’y a jamais eu de conflit, et cette harmonie est une richesse qu’il fallait mettre en image, » raconte-t-il. La représentation de cette relation interconfessionnelle dans la série constitue un message puissant, surtout lorsqu’on voit un imam se déplacer à l’église catholique, un geste très rare. « Pour moi, c’est un message très fort, » explique-t-il. Il insiste également sur la maîtrise du pulaar par l’abbé sérère, une preuve supplémentaire de la diversité culturelle et de l’unité nationale. Pour lui, les valeurs humaines doivent primer sur les querelles. « La vraie fierté, c’est de mettre l’humain en avant, au-delà des différences, » poursuit-il. Même si la série comporte aussi des éléments d’amour, l’objectif de Massafou était de s’éloigner du contenu purement commercial, souvent centré sur des romances. « Au début, il y avait une histoire d’amour, mais elle a été mise en retrait pour faire passer des messages plus importants, » souligne-t-il. Il insiste aussi sur le fait que la qualité du contenu ne doit pas se limiter aux romances ou aux histoires de jeunesse. « Il n’y a pas que les histoires d’amour ou de jeunesse qui peuvent être commerciales, » affirme-t-il, annonçant que la série sera bientôt accessible à un public plus large via une diffusion sur YouTube, prévue pour le 16 septembre.

ousmane.sow@lequotidien.sn