Les défis de la coalition Diomaye face à la gestion du pouvoir

6 juillet 2025

Un an après son accession au pouvoir, portée par une mobilisation populaire sans précédent et une promesse de rupture systémique, la coalition Diomaye doit faire face à un décalage grandissant entre les attentes qui lui ont été formulées et les changements concrets qu’elle a réellement entrepris. Si certaines initiatives laissent présager des transformations, la perspective d’une rupture profonde demeure freinentée par les réalités sociales, institutionnelles, culturelles et économiques du Sénégal.

Une victoire construite sur l’espoir d’un tournant historique

La victoire électorale de la coalition Diomaye a symbolisé l’espoir d’une sortie définitive d’un système perçu comme étant prédateur, tourné vers l’extérieur et incapable d’assurer un développement souverain digne de ce nom. Le projet présenté à cette occasion était audacieux : restructurer les institutions, moraliser la vie publique, et revoir en profondeur la relation entre l’État et les citoyens. Cependant, plus d’un an après, le bilan de cette démarche apparaît encore nuancé.

Un quotidien toujours sous pression

Sur le plan social, plusieurs mesures, notamment la réduction du coût des produits de première nécessité, ont été rapidement mises en œuvre. Pourtant, leur impact tangible se fait encore attendre. Pour une grande majorité de Sénégalais, la vie quotidienne reste marquée par la précarité, et les résultats concrets de ces décisions peinent à améliorer le niveau de vie des populations. Les transformations annoncées n’ont pas encore permis de répondre efficacement aux besoins immédiats des citoyens.

Réforme de l’État : entre aspirations et lenteur des progrès

La refondation de l’État, qui constituait un pilier central du discours de rupture, avance, mais à un rythme jugé lent par la majorité des analystes et observateurs. La phase de consultations citoyennes a permis de poser des bases solides pour le changement, mais la conversion de ces idées en réformes institutionnelles concrètes se fait encore attendre. La séparation des pouvoirs, la diminution des prérogatives de l’exécutif ou encore l’indépendance de la justice sont autant d’objectifs affichés qui nécessitent des mesures plus vigoureuses pour se concrétiser pleinement.

Concernant notamment la loi sur la protection des lanceurs d’alerte, qui est une étape essentielle pour renforcer la transparence, l’attente demeure. Bien que des poursuites aient été engagées contre certains responsables de l’ancien régime, la corruption, profondément ancrée dans le tissu social et administratif, reste un mal omniprésent, visible tant dans la vie quotidienne que dans certaines pratiques administratives.

Un projet économique ambitieux face à des attentes énormes

Le programme économique de la coalition repose sur une volonté claire de rompre avec les anciennes logiques : améliorer l’environnement des affaires, réformer la fiscalité, contrôler les dépenses publiques et instaurer une meilleure redistribution des ressources. Des initiatives comme la mise en place d’un nouveau code minier, la renégociation de certains contrats, la suppression de fonds politiques, la rationalisation de l’action publique ou encore la recherche d’une souveraineté monétaire illustrent une orientation résolument souverainiste, visant à renforcer l’indépendance économique du Sénégal.

Par ailleurs, la stratégie inclut une transformation structurelle profonde : digitaliser l’administration, développer les compétences du capital humain, valoriser les ressources nationales. Toutefois, face à l’urgence sociale, aux résistances héritées des administrations anciennes, et aux contraintes budgétaires, le déploiement de ces mesures rencontre de nombreuses entraves. La mise en œuvre concrète tarde à produire des résultats en termes de création d’emplois, d’augmentation des revenus ou de redistribution véritablement visible de la richesse.

Les symboles en première ligne

Au-delà des politiques économiques, la rupture doit aussi s’incarner dans les imaginaires collectifs et les représentations symboliques. Certains signaux, à cet égard, témoignent d’une volonté réelle de changement. On observe notamment un usage accru des langues nationales dans la communication officielle du gouvernement, ainsi qu’un effort pour faire en sorte que le discours politique reflète davantage les préoccupations populaires.

Ces démarches ne sont pas sans importance. Elles participent à un processus où la communication — au sens large, incluant la langue, le style vestimentaire et la posture des responsables — devient un levier fondamental dans toute transformation systémique. La devise « Jub, Jubal, Jubbanti » illustre cette aspiration à instaurer une nouvelle éthique publique, synthèse d’un changement de ton et de valeurs.

Pour que cette éthique devienne une réalité quotidienne, il faut que les agents de l’État incarnent ces principes dans leur comportement. Il est aussi à déplorer que la dynamique citoyenne, incarnée notamment par les « journées citoyennes de nettoyage », ait rapidement décliné, comme cela a été le cas sous l’ancien régime, perdant en vigueur après quelques éditions.

Une réforme linguistique pleine de promesses mais fragile

Dans le domaine éducatif, l’introduction progressive des langues nationales à l’école constitue une avancée significative, répondant aux enjeux d’efficacité, de justice historique et de pragmatisme. Pourtant, cette avancée se heurte à de nombreux défis : nécessité de former des enseignants compétents, de produire des supports pédagogiques appropriés, de promouvoir la création culturelle dans ces langues, et surtout, de faire respecter leur usage dans les médias.

Les médias ont un rôle clé dans cette offensive linguistique : ils doivent respecter scrupuleusement l’orthographe officielle dans toutes leurs productions, que ce soit dans les émissions ou dans la publicité. Il est également crucial qu’ils fassent appel à des professionnels qualifiés pour garantir la crédibilité de cette politique linguistique. Sans ces garanties, le risque d’une cacophonie peu constructive pourrait affaiblir l’impact voulu de cette réforme.

Une inertie structurelle persistante

Malgré la rhétorique de rupture, le système semble avoir intégré une partie du changement sans pour autant être profondément transformé. Les rapports de pouvoir, les privilèges liés aux fonctions publiques — illustrés notamment par la polémique récente sur le renouvellement du parc automobile de l’Assemblée nationale — restent en grande majorité inchangés. Les structures de domination politique, économique, culturelle et religieuse, telles que décrites par Bourdieu, continuent de maintenir leur influence.

Les réformes engagées jusqu’ici relèvent davantage de réaménagements internes que de véritables changements systémiques. La logique de conservatisme et la préservation des intérêts acquièrent une importance considérable, ce qui limite la portée des transformations annoncées.

Entre vigilance critique et potentiel de redressement

La conscience de l’écart entre les ambitions déclarées et la réalité du terrain devrait nourrir une critique constructive, mais aussi une irritation légitime. La coalition Diomaye bénéficie encore d’un capital de confiance certain, mais celui-ci ne doit pas servir d’alibi pour différer des réformes plus courageuses ou éviter de corriger les faiblesses flagrantes. Au contraire, cet état d’esprit doit devenir un levier pour accélérer la mise en œuvre d’un changement plus ambitieux.

Il ne faut pas céder à une vision pessimiste qui verrait dans cette situation le début de la fin. Le vrai danger réside dans la tendance qu’a le système à assimiler le changement pour qu’il devienne une simple affectation sans véritable impact : une nouvelle version du vieux dicton géneraliste : « plus ça change, plus c’est la même chose. »

La véritable révolution démocratique ne pourra être achevée que lorsqu’elle impliquera une reconfiguration réelle des structures et des logiques qui perpétuent l’injustice, l’inefficacité et le désenchantement citoyen. Seule une volonté politique forte, associée à une vigilance citoyenne constante mais modérée, sans surenchère ni égoïsme partisan, pourra permettre de dépasser ce risque et d’inscrire une véritable rupture dans la durée.