Les attaques aériennes menées par Israël sur le territoire iranien depuis la mi-juin marquent une étape cruciale dans l’évolution récente de la République islamique. Ces raids, d’une complexité tactique jusqu’ici inégalée, visent principalement les hauts responsables militaires iraniens ainsi que les principaux centres stratégiques de commandement. Selon l’analyse publiée par Jeune Afrique, cette nouvelle dynamique témoigne d’une volonté claire de la part d’Israël d’affaiblir durablement la capacité décisionnelle de l’Iran. Au-delà des enjeux géopolitiques immédiats dans la région, cette escalade pourrait engendrer une redéfinition des rapports d’influence de Téhéran en Afrique, continent que l’Iran considère depuis longtemps comme une zone stratégique de première importance.
Le scrutin du 12 juin à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), où l’Iran a été dénoncé pour “non-respect” de ses engagements nucléaires, a mis en lumière la division du continent africain face à cette problématique sensible. Au total, seul le Burkina Faso a appuyé la position de la Russie et de la Chine en votant contre cette résolution. Ce choix traduit un alignement volontaire avec Téhéran, inscrivant aussi cette posture dans une dynamique de rapprochement accéléré. Depuis la prise de pouvoir de la junte militaire au Burkina Faso en 2022, un partenariat concret s’est noué : en septembre 2024, un mémorandum d’entente a été signé entre l’Organisation iranienne de l’énergie nucléaire et le gouvernement burkinabè afin de travailler conjointement sur la recherche et la formation en matière nucléaire, rapporte Jeune Afrique.
Ce partenariat dans le domaine nucléaire ne se limite pas à la cooperation scientifique. Il s’accompagne également d’un renforcement marqué des relations militaires. Déjà en novembre 2023, l’ambassadeur iranien à Ouagadougou négociait avec le ministre burkinabè des Affaires étrangères pour approfondir la collaboration en matière de défense. Ce partenariat inclut notamment l’exportation d’équipements militaires, leur maintenance ainsi que la formation des forces de sécurité locales. Plus récemment, la visite d’Ahmad-Reza Radan, le commandant de la police iranienne, à Ouagadougou illustre cette orientation vers une coopération sécuritaire de plus en plus étroite.
En revanche, d’autres pays du continent adoptent une position plus prudente et nuancée. L’Afrique du Sud, l’Égypte, le Ghana et l’Algérie se sont abstenus lors du vote à l’AIEA, cherchant à préserver un équilibre entre leurs intérêts énergétiques et les pressions venant de la communauté internationale. Ces nations invoquent le droit de l’Iran à développer une énergie nucléaire civile, tout en se disant attachées au principe de non-prolifération. Cette position d’alternance de la fermeté et de la retenue reflète la complexité et la diversité des enjeux géopolitiques auxquels l’Afrique doit faire face, souligne Jeune Afrique.
L’Afrique du Sud illustre à elle seule cette ambiguïté. En février dernier, Pretoria évoquait la possibilité de se tourner vers la Russie ou l’Iran pour augmenter ses capacités civiles en matière nucléaire. Cependant, elle a nié toute coopération bilatérale dans ce domaine après les accusations portées par Donald Trump. Cette hésitation traduit les tensions croissantes sur le continent : entre un besoin de maintenir des partenariats stratégiques et la nécessité de rester conforme aux orientations internationales.
De son côté, le Maroc a exprimé un vote favorable à la résolution, ce qui reflète ses relations tendues avec Téhéran en raison de son soutien au Front Polisario. Rabat rejette toute éventuelle dimension militaire dans le programme nucléaire iranien, affirmant que ses soupçons dépassent la simple méfiance et s’inscrivent dans une suspicion persistante face aux ambitions expansionnistes du régime iranien, explique Jeune Afrique.
La stratégie de l’exportation de la révolution, une démarche idéologique clairement assumée
L’expansion de l’Iran en Afrique repose sur des principes idéologiques solidement ancrés dans la Constitution postrévolutionnaire iranienne, qui glorifie le concept d’“exportation de la révolution” et le soutien aux mouvements nationalistes ou anti-ocidentaux. Déjà affaiblie par des décennies de sanctions économiques, notamment dans le secteur pétrolier, la République islamique dispose désormais de peu d’atouts économiques à offrir. Elle mise donc principalement sur ses capacités militaires pour renforcer sa présence et son influence à l’étranger, explique Jeune Afrique.
Une preuve concrète de cette orientation stratégique a été donnée par le chef d’état-major iranien, Mohammad Bagheri. Quelques jours avant sa mort dans une frappe israélienne, il déclarait que les exportations d’armements iraniennes avaient considérablement augmenté sous la présidence d’Ebrahim Raïssi. Il estimait que ces exportations avaient atteint un niveau “trois fois supérieur” à celui de périodes antérieures, ce qui souligne la montée en puissance des capacités militaires de Téhéran.
Sur le terrain africain, cette volonté se traduit par des projets concrets. Après la visite diplomatique d’Ebrahim Raïssi au Zimbabwe, au Kenya et en Ouganda, son vice-président Rouhollah Dehghani annonçait la création de “centres spécialisés en Afrique, notamment en Ouganda, pour fournir des services liés aux drones iraniens”. Lors du troisième sommet de coopération entre l’Iran et l’Afrique, qui s’est tenu à Téhéran du 27 au 29 avril, le président de l’organe exécutif, Massoud Pezechkian, a déclaré que son pays était disposé à partager “toutes ses capacités et réalisations”, y compris dans le domaine de la “sécurité” avec ses partenaires africains.
Un dossier particulièrement sensible concerne d’éventuelles négociations avec le Niger. En mars 2024, le Wall Street Journal révélait que des responsables américains redoutaient qu’un accord secret permette à l’Iran d’accéder à l’uranium nigérien, avec des négociations qui auraient atteint un stade avancé. Le journal français Le Monde confirmait que la junte militaire au pouvoir à Niamey envisageait de vendre à Téhéran plusieurs centaines de tonnes d’uranium raffiné, communément appelé “yellowcake”.
Ce réseau d’influence iranienne en Afrique reste vulnérable, surtout si le conflit avec Israël venait à s’étendre. L’analyse de Jeune Afrique souligne que si l’idéologie constitue une base solide pour l’action iranienne, sa crédibilité réelle repose avant tout sur sa force militaire. La dégradation de ses capacités balistiques et de drones pourrait réduire considérablement sa marge de manœuvre, aussi bien en Afrique que dans d’autres régions.
Le paradoxe iranien demeure frappant : tout en avouant la capacité de fabriquer une arme atomique, notamment par des responsables proches du Guide suprême Ali Khamenei, Israël considère la destruction du programme nucléaire iranien comme une priorité absolue dans sa campagne militaire. Si ce dernier objectif venait à être accompli, cela remettrait en question, de manière profonde, toutes les collaborations nucléaires de Téhéran à travers le monde, y compris celles récemment entreprises en Afrique, prévient Jeune Afrique.
L’Iran se trouve à un tournant décisif. Il doit choisir entre résister aux pressions israéliennes et approfondir son influence sur le continent africain, ou bien se fragiliser et voir sa crédibilité affaiblie sur la scène internationale. La crise pourrait aboutir à une réduction de ses leviers d’action, notamment en matière d’armement et de partenariat, qui le contraindraient à revoir ses ambitions régionales et globales. Pour l’Afrique, cette situation constitue un enjeu majeur : un nouveau jeu d’équilibres géopolitiques pourrait disparaître ou émerger, redéfinissant durablement les rapports de pouvoir sur le continent pour les décennies à venir.