Alea jacta est ! De manière plus prosaïque, les dés sont jetés. Le Conseil Constitutionnel du Sénégal a publié la liste officielle, donc définitive, des candidats devant prendre part à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Sur les 21 candidats sortis indemnes de l’étape difficile des parrainages (ils étaient 93 au départ), seuls 20 ont été finalement retenus par les 7 sages pour briguer le suffrage des citoyens et espérer, au soir du 25 février 2024, ou quelques semaines après, en cas de second tour, devenir le 5è président de la République du Sénégal. Sur les 21 candidats retenus initialement, seule la candidature de Karim Wade a été déclarée irrecevable.
Bien que le chemin qui mène au Palais présidentiel se rapproche davantage, il n’en reste pas moins qu’une bonne quinzaine de ces candidats feront figure de simples figurants ! Le fait est inédit : depuis l’indépendance du pays, c’est bien la première fois qu’une élection présidentielle va concerner un nombre aussi élevé de prétendants au fauteuil présidentiel.
Au sortir de deux années particulièrement éprouvantes pour la démocratie et l’Etat de droit, malmené jusqu’à leurs derniers retranchements, le prochain scrutin électoral s’annonce comme un grand moment de délivrance, une sorte de catharsis pour sortir, enfin, d’un long moment de doute, de questionnement légitime sur la réelle volonté du pouvoir, comme des acteurs politiques de tous bords et la société civile encore debout, de sauver (ou préserver) ce qui peut l’être.
Quelques enseignements peuvent être tirés, de prime abord, en attendant que le début de la campagne électorale et le déploiement sur le terrain des candidats nous procurent plus d’éléments factuels sur les réelles potentialités et chances des uns et des autres.
Deux constats majeurs : d’abord, la majorité au pouvoir est bien représentée avec la présence, en plus du candidat « officiel », le Premier ministre Amadou Ba, de trois autres candidats tous membres de l’APR (l’ancien PM Mouhamadou Boune Abdallah Dione, Ali Ngouille Ndiaye et El Hadj Mamadou Diao). L’opposition, sevrée de la participation de son chef charismatique Ousmane Sonko, barré définitivement par une décision de justice (des manœuvres plutôt, contestent ses partisans), pourra compter sur une dizaine de candidats, dont celui justement de Bassirou Diomaye Faye, lieutenant attitré du leader de Pastef, Cheikh Tidiane Dièye, Déthié Fall, Boubacar Camara, Habib Sy, Mamadou Lamine Diallo, Khalifa Ababacar Sall, El Hadj Malick Gakou, El Hadj Mamadou Dia, Pape Djibril Fall et Thierno Alassane Sall.
Dans le lot restant, l’ancien PM et maire de Thiès, Idrissa Seck, est dans une situation atypique. Hier leader de l’opposition avant l’avènement de Sonko, il semble avoir perdu de sa superbe après son alliance scellée avec le pouvoir. Il n’en conserve pas moins un certain pouvoir d’attraction ou de nuisance, s’il parvient encore à tirer profit de ses étonnantes capacités de mobilisation des foules. Mais la combativité et l’éloquence dont il faisait montre à l’époque du Sopi triomphant ne se sont-elles pas émoussées sous le poids de l’âge et des fatales compromissions ?
L’avenir proche nous édifiera.
Quant aux candidats indépendants ou novices sur le terrain politique, tels que Serigne Mboup, Anta Babacar Ngom et Daouda Ndiaye, l’essentiel pour eux, comme le dirait le baron de Coubertin, est de participer. Ils apporteront sans doute de la fraîcheur et de l’innovation dans la campagne, mais je ne pense pas qu’ils pourront faire bouger les lignes de manière significative.
L’autre enseignement est que nous allons à une élection où, incontestablement, les orientations et directives d’Ousmane Sonko seront scrutées à la loupe. Même privé de liberté, il pèsera d’un poids certain sur l’issue du vote, à en croire les nombreux sondages qui le donnaient gagnant à tous les coups si sa candidature était validée.
Qu’à cela ne tienne, il dispose d’une large marge de manœuvre avec au moins quatre ou cinq candidats dont il partage les mêmes idéaux. Toutefois, une élection présidentielle étant d’abord la rencontre d’un homme avec un peuple désormais exigeant quant à la qualité du produit qu’on lui propose, des slogans seuls ne suffiront pas, sans doute, à susciter une quelconque osmose. Il faut aussi, et surtout, un investissement personnel et dynamique du candidat qu’on veut promouvoir. Le même constat est d’ailleurs tout aussi valable pour le camp du pouvoir, condamné à taire les divergences pour des retrouvailles éventuelles au second tour.
Enfin, l’absence de Karim Wade, candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS), constitue un coup dur pour ce parti et ses valeureux militants encore une fois « trahis » sur la dernière ligne droite. Certes, la requête formulée par Thierno Alassane Sall a mis fin aux ambitions de Karim Wade, mais ce dernier ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Pour avoir fait confiance au pouvoir qui lui avait fait miroiter la possibilité d’une participation sûre à l’élection présidentielle, à l’issue du fameux dialogue politique, il se voit rattraper par la décision saugrenue des Autorités françaises de lui signifier, par décret, sa renonciation à la nationalité française, le 17 janvier 2024 ! Cela quelques jours après le dépôt de sa déclaration sur l’honneur, considérée donc inexacte par le Conseil constitutionnel. Quel gâchis ! Quelle irresponsabilité !
En fin de compte, le PDS, plutôt ce qui en reste, peut jouer un rôle évident dans le scrutin à venir, mais n’aura plus, comme du temps glorieux où le Pape du Sopimenait ses troupes à la victoire, la même panache, le même engouement. Il reste à la direction du PDS de gagner le dernier combat qui lui reste, pour honorer son rang et garder la main, celui de faire le bon choix par rapport aux forces en présence. Quant à Karim Wade, il pourra toujours se préparer pour les élections législatives à venir et aussi pour le prochain rendez-vous de 2029.
Mais, en conclusion, l’élection présidentielle du 25 février 2024 se jouera également en dehors de ces seuls candidats. Le lot des nombreux candidats laissés en rade par le système clivant du parrainage aura son mot à dire. Aminata Touré, Bougane Gueye, Abdourahmane Diouf, Mary Teuw Niane, Aïda Mbodj, Alioune Sarr, pour ne citer que ceux-là, peuvent effectivement faire gagner des voix à certains candidats. Pourvu qu’ils partagent les mêmes objectifs, les mêmes positions sur des problématiques diverses. Une posture peu commune en politique.
Maintenant que la liste des candidats est connue, place à la mise à disposition des états-majors politiques et du public du fichier électoral pour garantir des conditions d’organisation et de participation sereines et transparentes. Pour éviter, demain, la confusion et les cafouillages le jour du scrutin, des contestations et des situations préjudiciables à la paix sociale les jours d’après…
Abdou Karim DIAKHATE
Directeur de publication
Magazine LE PANAFRICAIN