Conflit entre Waly N’Dour et Fara N’Jaaay : le choc des générations autour du livre

5 juillet 2025

Le paysage littéraire au Sénégal est en ce moment le théâtre d’un échange intense et révélateur entre deux figures majeures du monde du livre : l’écrivain et éditeur Waly Ndour, fondateur de SEGUIMA, ainsi que le poète et éditeur Fara Njaay, ancien président du collectif Parlons Poésie. En toile de fond de cette confrontation, on trouve notamment le report du Forum national du Livre, initialement prévu pour juin 2025 et repoussé à octobre 2025, ainsi qu’une question cruciale qui dépasse largement le cadre de cette organisation : quelle doit être la place des jeunes dans la structuration intellectuelle et culturelle du pays ?

Ce débat a été lancé par Waly Ndour dans une tribune à la fois critique et introspective, où il remet en question la manière dont le comité scientifique du futur forum a été annoncé et organisé. Il interpelle une part de la jeunesse qu’il considère comme impatiente, peu patiente face à l’effort, voire opportuniste et peu digne de confiance dans le contexte de l’organisation de cet événement.

Forum du livre ou pouvoir de la jeunesse : quels enjeux ?

Le 23 juin dernier, Waly Ndour a publié un texte dans lequel il s’adresse directement à Madame la Ministre en charge des Affaires Culturelles. Dans cet article, il a commencé par dénoncer l’installation du comité scientifique prévu pour le Forum National du Livre, dont la première date avait été initialement fixée à juin 2025. Intitulé « Madame le Ministre, qui vous a mise dans ça ? », le texte était une critique acerbe de la façon dont cette étape importante était menée, et plus largement de la participation des jeunes à ces processus.

Face à la polémique et à la pression, la ministre et son équipe ont finalement décidé de reporter la tenue du forum à octobre 2025. D’un point de vue personnel, Waly Ndour n’avait aucune raison d’attendre autre chose, étant convaincu que les autorités montrent pour l’instant une écoute attentive des préoccupations du peuple. Il formule donc un vœu que ce dialogue constructif perdure et qu’il serve à améliorer la gestion de cet événement national, qui peut, selon lui, jouer un rôle clé dans la dynamique culturelle du pays.

Cependant, une question lui paraît essentielle, qu’il partage ici en toute transparence : qu’est-ce qui a réellement posé problème dans l’organisation précédente ? Et selon lui, la réponse se trouve au niveau de deux éléments principaux.

Les deux problématiques fondamentales

Le premier concerne la manière dont l’information a été communiquée. Habituellement, les responsables et les acteurs du secteur littéraire reçoivent les annonces importantes par leur e-mail ou par d’autres canaux officiels, notamment la Direction du Livre et de la Promotion de la Lecture. Dans ce cas précis, la nouvelle de la mise en place du comité scientifique a été relayée par des proches écoutant la RFM, une radio qu’il trouve peu appropriée pour diffuser ce type d’informations. À ses yeux, la communication aurait pu se faire d’une manière plus officielle, via la presse ou par une annonce formelle, afin d’assurer transparence et légitimité. La pratique quotidienne dans ce genre de comités scientifiques tend à privilégier la discrétion, les échanges confidentiels et sans publicité, ce qui rendait étrange cette volonté soudaine de médiatiser la nouvelle.

Le second problème touche au profil des membres désignés pour faire partie du comité scientifique. Selon lui, il suffit de regarder la composition pour constater qu’il n’a pas nécessairement besoin d’insister sur la représentativité de toutes les sensibilités ou groupes sectoriels. La sélection doit se faire sur la base des compétences, de l’expérience et de la capacité à élaborer des thématiques pertinentes. Il insiste sur le fait que l’objectif n’est pas d’intégrer un panel représentatif de toutes les catégories ou sous-secteurs, mais plutôt de coopter des experts capables d’éclairer de manière professionnelle et objective le débat. Il met en garde contre le risque de voir certains membres issus de cette sélection agir dans leur intérêt personnel ou idéologique plutôt que pour l’intérêt général. Selon lui, organiser un forum sans objectif véritable, en répétant sans fin les mêmes discours, serait une dépense inutile de fonds publics.

Par ailleurs, il arrive que le critère d’âge fasse l’objet de considérations mêlées à des enjeux plus politiques ou de rivalité intergénérationnelle. Toutefois, il souligne que la jeunesse n’est pas une garantie de compétence, tout comme la vieillesse n’est pas synonyme de sagesse. En illustrant son propos, il rappelle que de nombreux jeunes ont commis des actes nuit à l’humanité ou ont été à l’origine de tragédies historiques, comme Samuel Do ou d’autres dirigeants qui ont marqué leur époque par leur impulsivité ou leur avenir trouble. À ses yeux, ce n’est pas l’âge qui fait la capacité à prendre des responsabilités, mais la maturité, l’engagement sincère et l’esprit citoyen.

Le vrai défi : la responsabilité et l’engagement

Il insiste sur le fait que la jeunesse, dans son essence, n’est pas niée ou rejetée. Elle doit au contraire être valorisée, car elle recèle de potentiels énormes. Ce qu’il demande, c’est que cette jeunesse ne réclame pas tout d’emblée, mais qu’elle fasse ses preuves avec patience et discipline. Il cite en exemple des figures historiques telles que Thomas Sankara ou Khadafi, qui ont suivi un parcours d’étude sérieux et ont choisi de s’engager pour leur pays sans chercher immédiatement à profiter des avantages ou de la célébrité.

Les véritables jeunes leaders et acteurs du changement, selon lui, sont ceux qui ont fait preuve de sacrifice personnel, d’abnégation et de dévouement sans attendre de contrepartie immédiate. Il évoque ses propres sacrifices pour faire avancer SEGUIMA, en racontant qu’en 2021, après un appel à textes, il a dû vendre un terrain en région pour couvrir les frais d’édition de 23 ouvrages. Il précise qu’il n’a pas attendu d’aide extérieure, mais qu’il a travaillé dur, nuit et jour, avec un petit groupe de collaborateurs dévoués. En 2024, pour créer SEGUIMA VISION MULTIMEDIA, il a encore dû faire un découvert bancaire, qu’il rembourse aujourd’hui. Ces sacrifices, très personnels, sont pour lui la démonstration que la réussite ne dépend pas de l’âge, mais de la volonté et de la détermination.

Il veut aussi rappeler que la jeunesse sénégalaise regorge de talents et d’engagement authentique. La plupart des jeunes qu’il connaît ont une profession stable, qu’il s’agisse de l’enseignement, de la justice ou de l’administration, mais ils consacrent leur passion et leur temps à la culture, à la littérature, à l’écriture. Il cite une longue liste de jeunes responsables, comme Papa Moussa Sy, Saliou Diop CISSÉ ou Ousseynou Thiombiano, qui sont autant d’acteurs sérieux et engagés dans leur domaine. Pour lui, ce n’est pas une question d’âge, mais de responsabilité et de volonté de contribuer à l’éveil culturel national.

Fara Njaay insiste également sur la nécessité pour les jeunes de ne pas attendre que la chance leur tombe du ciel. Il leur conseille de prendre leur destin en main, de montrer leur talent et leur sérieux aux générations précédentes. Selon lui, la relation intergénérationnelle doit être basée sur la confiance, le respect et la collaboration, et non sur la méfiance ou le mépris. En citant ses propres expériences, il affirme que la réussite n’est pas venue par hasard, mais grâce à un travail acharné, à la discipline et au respect des valeurs.

Il ajoute que le patriotisme ne se mesure pas à travers des discours creux ou des revendications vaines, mais par l’engagement sincère dans la construction d’un avenir collectif. Il revient sur la période où il a servi son pays dans des conditions difficiles, et souligne qu’il ne demande rien en retour, si ce n’est que ses efforts soient reconnus par ses jeunes compatriotes.

Dans cette optique, il considère que le respect mutuel, la patience et la valeur du temps sont fondamentaux pour bâtir un avenir commun, où chaque génération, à son niveau, apportera sa pierre à l’édifice national. Il conclut en affirmant que les jeunes doivent continuer à croire en leur potentiel, tout en étant conscients de l’importance du travail et de l’effort personnel pour atteindre leurs objectifs.

Une réponse sans concession

Face à cette dénonciation, Fara Njaay n’a pas tardé à répondre. Dans une tribune toute aussi puissante, ironiquement mordante, il dénonce avec virulence ce qu’il qualifie de « fausse lecture » de la réalité par son contradicteur. Il lance notamment : « Waly Ndour, qui vous a mis dans ça ? » en raillant le ton accusateur qu’il estime déplacé et infondé. Il confie également qu’il est déconcerté par la façon dont celui-ci a interprété certaines de ses déclarations, en lui reprochant d’avoir déformé ses propos pour faire de lui l’incarnation d’un vieux grincheux.

Ce qui lui semble particulièrement absurde, c’est l’accusation selon laquelle il aurait rejeté la composition du comité scientifique du forum, puis aurait changé d’avis sans cohérence. Selon lui, cette incohérence relevée par Ndour n’a aucune base, puisqu’il n’a jamais nié la nécessité d’un comité scientifique, ni contesté la qualité de son importance. Il lui reproche aussi d’avoir critiqué la communication officielle et la participation des médias, alors que ce n’est qu’un aspect technique de la gestion d’un tel projet.

Selon lui, l’attitude de Waly Ndour est motivée par une mauvaise lecture des enjeux, mais surtout par un ton de mépris envers la jeunesse qu’il doit pourtant défendre et encourager. La jeunesse sénégalaise, selon Njaay, n’est pas composée de jeunes délinquants ou de drogués, mais d’acteurs responsables, engagés et souvent issus de milieux modestes, qui œuvrent silencieusement pour faire avancer leur pays. Il cite même des exemples concrets de jeunes ayant des professions respectables, qui ne demandent pas à être mis en avant à tout prix, mais veulent simplement participer à la construction nationale.

Il rappelle que, pour lui, la sagesse ne s’obtient pas avec l’âge, mais avec l’expérience, la conscience de ses responsabilités et l’humilité. Il fustige le ton nihiliste et dévalorisant employé par son adversaire et insiste sur le fait que le vrai changement passera par une synergie intergénérationnelle sincère, où chaque partie joue son rôle dans le respect mutuel.

Il termine en appelant à une lucidité collective et à une unité autour des valeurs fondamentales du progrès, de la justice et du développement. Car, selon lui, la véritable force d’un pays réside dans sa capacité à faire dialoguer ses jeunes et ses vieux, en évitant de tomber dans la division ou dans les discours haineux.

Ce débat, au-delà de la seule sphère littéraire, pose donc la question essentielle de l’avenir de notre société, et du rôle que chaque génération doit jouer pour bâtir un Sénégal ensemble, dans la paix, la solidarité et la confiance mutuelle.