Quand certains dirigeants semblent confondre leur bureau avec un trône imaginaire
Il existe des journées où l’on se demande si certains directeurs généraux ne traitent pas leur poste comme un royaume enchanté, où les règles du bon sens et du respect des libertés individuelles seraient totalement absentes. C’est dans ce contexte qu’un haut responsable du Grand Théâtre national du Sénégal a décidé, dans un excès d’autoritarisme, de s’élever en juge suprême de l’élégance capillaire et de la couleur de peau. Depuis son siège, drapé dans sa moquette et arborant fièrement un nœud papillon d’une blancheur surnaturelle, ce directeur général a publié une »note de service » d’un sérieux à toute épreuve. Et, accrochez-vous, cette note interdit purement et simplement la pratique des greffages, le port de perruques ainsi que la dépigmentation. Rien que ça. On pourrait presque croire à un décret provenant d’un royaume de pacotille, où l’on confondrait mission culturelle et obsession capillaire.
Les justifications approximatives derrière cette initiative
Il paraît que cette mesure vise à « préserver l’image de l’institution » et à promouvoir « les valeurs panafricaines ». Comme si la prolifération de tissages ou de perruques pouvait mettre en péril l’édifice même du Grand Théâtre. Comme si la couleur des mèches pouvait devenir une arme de destruction massive. Pourtant, ces mêmes femmes, qu’elles portent ou non une perruque, sont celles qui assurent la marche quotidienne de l’établissement, en préparant la logistique, en coordonnant la programmation. Elles travaillent intensément pendant que Monsieur, lui, scrute la brillance des cheveux synthétiques ou observe la carnation de leurs coudes, sans même prendre une seconde pour examiner les résultats financiers ou la qualité artistique des productions.
Une logique absurde poussée à l’extrême
Impulsé par cette logique, il aurait été légitime d’attendre une prochaine note interdisant aux hommes de venir au travail avec des cheveux teints, des ventres arrondis ou en costard imitation de grands couturiers. On pourrait même imaginer une clause contre les nœuds papillons, qui donnent à leurs porteurs un air de gourou ou de sectaire capillairement frustré. L’absurdité n’aurait alors plus de limites.
Une critique salutaire de la dépigmentation
Il faut cependant préciser que la dépigmentation est un véritable fléau santé. Elle détruit la peau, met en danger la santé, et construit un imaginaire nocif basé sur le rejet de soi. La lutte contre cette pratique doit être légitime et tourné vers l’éducation, la sensibilisation et la valorisation des beautés noires, plutôt que par des règlements infantilisants et sexistes. La dépigmentation ne doit pas être combattue avec des circulaires qui ressemblent à des manuals de surveillance datant de l’époque coloniale, au contraire.
Les choix esthétiques, une question de liberté individuelle
En ce qui concerne les greffages ou le port de perruques, faut-il rappeler que ce sont des choix esthétiques, qui peuvent aussi répondre à des raisons économiques ou pratiques ? Faut-il interdire aux hommes de se raser la tête pour dissimuler une calvitie ou de porter des faux cols pour allonger leur coup ? Où commence la liberté de s’exprimer comme on l’entend, et où commence le délire d’un dirigeant trop zélé qui veut tout réglementer ?
Ce qui dérange réellement dans cette initiative
Ce qui poser problème, en réalité, ce n’est ni la perruque, ni la greffe, ni la dépigmentation en soi. Ce qui est choquant, c’est qu’un homme, emporté par un soupçon d’autorité, se permette d’imposer des normes esthétiques à des femmes dont le seul objectif est de travailler, pas de satisfaire ses fantasmes d’authenticité ou de perfection. La beauté, le style, et les choix capillaires ou vestimentaires relèvent de la sphère privée, à condition qu’ils ne nuisent pas à l’exercice professionnel. Mais ici, il s’agit de contrôle sur la conformité à un « canon » subjectif et imposé, revendiqué comme « panafricain ». En se focalisant sur la liberté d’expression corporelle pour redorer l’image d’une institution, le directeur oublie que l’éthique professionnelle repose sur la compétence, la rigueur et l’engagement, et non sur l’apparence.
Une obsession qui camoufle un sexisme évident
Ce qui transparaît entre les lignes de cette note de service, c’est surtout un sexisme ancien, lourd, et profondément ancré dans une administration qui, comme un mauvais parfum dans une pièce mal aérée, dégage une odeur de préjugés. Cette circulaire ne cible pas les barbes mal rasées ou les crânes dégarni, non. Elle s’attaque exclusivement aux femmes, leur droit de choisir comment elles veulent se coiffer, se présenter, et porter ce qui leur plaît. La liberté d’être efficace, créative et performante dans leur travail ne devrait jamais dépendre de leur coiffure ou de leur couleur de peau. Et si, pour une fois, on se contentait de laisser les femmes libres d’être elles-mêmes, sans tenter de leur imposer un standard subjectif, notamment dans un contexte aussi crucial que celui de leur profession ? Et si, également, on demandait aux responsables masculins de faire preuve de discrétion concernant leurs choix vestimentaires ou capillaires ?
Une véritable remise en question des valeurs modernes
Dans une société moderne, la légitimité d’un leader ne devrait pas s’appuyer sur des diktats esthétiques absurdes. Elle doit reposer sur la raison, la justice et le souci du service à la communauté. Lorsqu’un dirigeant, même au sein d’une institution culturelle, veut imposer ses goûts personnels à ses collaborateurs sur des aspects aussi fondamentaux que la coiffure ou la couleur de peau, il sort du cadre de sa mission, qui consiste à garantir des conditions de travail équitables et respectueuses de toutes et tous. Plus largement, cette attitude illustre un fantasme d’autoritarisme : celui qui considère que l’ordre, la moralité ou la dignité se mesurent à travers la couleur des cheveux ou la façon dont on s’habille. C’est confondre le maintien de l’ordre avec l’obsession du contrôle total, la responsabilité avec la domination.
Une absurdité doublée d’un camouflet à la culture
On pensait tout avoir vu, mais voilà qu’après la tempête, le même individu s’est exprimé dans une vidéo nocturne, comme pour tenter de sauver la face. « Je veux défendre l’identité africaine » a-t-il clamé, sans conviction apparente. Pourtant, la culture ne se limite pas à la longueur des mèches ou à la teinte de l’épiderme. Elle ne se résume pas à une charte de conformité digne d’un contrôle colonial. L’identité africaine, riche et plurielle, se construit à travers des danses, des chants, des héritages et des choix personnels. Elle ne se décrète pas par circulaire administrative, et ne se fixe pas à un standard figé. Elle est le fruit d’une histoire mouvante, entre mémoire collective, regard extérieur et désir personnel. Elle oscille entre l’héritage que l’on porte et la liberté que l’on prend pour s’en détacher ou s’en réapproprier. Être soi, c’est donc apprendre à reconnaître ce qui change tout autant que ce qui demeure. En jouant le rôle d’arbitre du « bon goût », le directeur a oublié le sens même de ce qu’est la culture : liberté, diversité, expression.
Le retour à la raison
Hier matin, contre toute attente, ce même homme a finalement retiré sa note, comme un fakir ayant compris qu’il s’était brûlé en marchant sur des braises d’indignation collective. Dans un communiqué lisse comme un brushing, il invoque un « malentendu professionnel » et une volonté de « clarifier le cadre de fonctionnement », laissant entendre qu’il a pris conscience d’avoir été en dehors de la ligne. En clair, il a compris qu’il avançait à contre-courant, sans bouée ni shampooing.
Quels enjeux pour l’avenir culturel du Sénégal
En 2025, il devient évident que le Sénégal mérite bien plus qu’un théâtre où l’on joue à réglementer la longueur des mèches, alors que les véritables enjeux restent ignorés. Si une femme est compétente, innovante, ponctuelle et sérieuse, peu importe qu’elle porte une perruque ou ses cheveux naturels. Après tout, la performance ne peut pas se juger à la couleur ou à la coiffure. Et si sa peau est jugée trop claire, serait-elle pour autant à « rééduquer » ? La circulaire, quant à elle, suggère que peut-être, une femme médiocre mais ayant l’air naturel serait considérée comme plus apte. Cela témoigne d’un glissement inquiétant d’un pouvoir administratif vers une pathologie obsessionnelle axée sur l’apparence. On a presque une impression de revivre un vieux scénario colonial, où l’autoritarisme et les lubies capillaires s’imposent sur la scène du théâtre national.
Une autorité qui n’est pas digne d’un gestionnaire culturel
Ce directeur n’est pas un véritable chef d’institution. Il ressemble plus à un gestionnaire de rayon dans un salon de beauté, et même dans ce cas, un salon où l’on peut être viré si l’on ne correspond pas aux goûts de son propriétaire. Incapable de diriger une équipe avec discernement, il se limite à régenter l’apparence extérieure, sans pour autant valoriser la culture ou encourager la créativité. Au contraire, il administre ses complexes personnels. Il devrait d’abord apprendre à clarifier ses idées, à défroisser ses pensées, avant de vouloir décoiffer celles des autres. La compétence, celle qui fait réellement avancer une institution, ne se mesure pas aux mèches ou à la couleur de la peau, mais à ce que l’on porte dans la tête.
Une conclusion amère
Au fond, ce responsable ne possède ni la posture, ni le profil, ni la sensibilité d’un gestionnaire culturel. Peut-être, par frustration face à ses propres limites managériales, s’imagine-t-il que porter un afro naturel pourrait constituer une forme de gouvernance. Ou encore, qu’un simple détail capillaire pourrait contenir la clé du progrès. En tout cas, les perruques ont finalement remporté la partie, et lui, s’est tout seul décoiffé en essayant d’imposer ses modes. La scène est triste, mais elle révèle surtout l’urgence de repenser la gestion et la gouvernance dans nos institutions, pour que la culture reste un espace de liberté et de diversité, et non un théâtre d’impositions absurdes et rétrogrades.