Comment le Sénégal s’engage dans une crise silencieuse et progressive

8 juillet 2025

Dans un avenir proche, la majorité des habitants du Sénégal seront confrontés à des maladies directement liées à leur alimentation. Cette projection inquiétante a été formulée par le Dr Binetou Seck, une spécialiste reconnue en nutrition et diététique, qui met en lumière une réalité que peu osent envisager : le pays est en train de vivre une transition nutritionnelle profondément problématique, mettant en danger la santé de toute une population.

Actuellement, près de la moitié des causes de mortalité au Sénégal, soit 47 %, sont attribuables à des maladies non transmissibles. La principale origine de ces troubles réside dans la qualité de l’alimentation, qui demeure déplorable pour une part significative de la population. Les prévisions pour la prochaine décennie sont encore plus alarmantes : dans dix à quinze ans, il est prévu qu’une majorité de Sénégalais, plus de la moitié, succomberont à des maladies liées à leur régime alimentaire.

Le Dr Seck insiste : « Ce qui nous attend, c’est que dans moins d’une génération, une très grande majorité de la population sénégalaise décèdera de pathologies associées à ce qu’elle mange. Et malheureusement, à l’heure actuelle, aucune initiative concrète n’est en place pour inverser cette tendance. »

Cette mutation dans les comportements alimentaires touche tout particulièrement les femmes. Selon une étude récente, d’ici 2030, près de 45 % des femmes en Afrique seront en surpoids ou obèses, ce qui en fait un enjeu majeur de santé publique à l’échelle mondiale. Derrière ces chiffres se cachent des histoires humaines douloureuses : prevalence accrue de diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires, cancers et autres affections chroniques, toutes quasi inexistantes dans le pays avant cette transition. Aujourd’hui, ces affections explosent sous l’effet de nouvelles habitudes alimentaires qui s’éloignent du mode de vie traditionnel.

Les habitudes alimentaires qui menacent la santé

Les pratiques culinaires modernes adoptent souvent des comportements nuisibles. Un exemple frappant est celui du célèbre thé sénégalais, l’attaya. « On y met au moins trois morceaux de sucre, souvent plus », explique la nutritionniste. La consommation excessive de sucre ajouté dans cette boisson, mais aussi dans de nombreux autres aliments du quotidien, contribue à la détérioration de la santé publique.

Les consommations de fritures abondantes, telles que le poisson frit, le poulet frit, les frites, ou encore des aliments à base de pâte comme les nems, fatayas, pastels ou beignets, illustrent également cette problématique. « Beaucoup d’aliments que nous préparons peuvent être plongés dans un bain d’huile », constate le médecin. La surconsommation d’aliments frits surcharge le corps en graisses saturées, ce qui accroît considérablement le risque de maladies cardiovasculaires.

Paradoxalement, certains plats traditionnels comme le thiéboudienne, fleuron de la gastronomie sénégalaise, peuvent rester équilibrés lorsque leur préparation est respectée. « Pour un kilogramme de riz, on utilise typiquement un quart de litre d’huile. Nos grands-mères respectaient ces proportions, et cela ne posait pas problème », rappelle la spécialiste. Cependant, la réalité a changé : « aujourd’hui, on en met beaucoup plus, et on retrouve souvent de l’huile au fond du bol après la cuisson », déplore-t-elle.

La montée en puissance des aliments industriels, un défi majeur

La présence grandissante d’aliments ultra-transformés constitue un facteur critique dans cette détérioration de la nutrition. Les biscuits industriels destinés aux goûters d’enfants, les margarines riches en additifs, ou encore les boissons très sucrées se retrouvent partout. Pourtant, ces produits étaient inexistants dans l’alimentation traditionnelle sénégalaise et n’avaient pas leur place dans la culture culinaire locale.

Binetou Seck souligne : « Les compléments alimentaires doivent être utilisés uniquement en cas de carence avérée, prescrite par un médecin. » Elle dénonce également le marketing agressif exercé par les industries de ces produits, qui ciblent une population souvent peu informée des risques réels pour la santé.

Face à cette menace, la spécialiste adresse un appel urgent aux autorités publiques : « Il est indispensable de lancer des campagnes de sensibilisation massives, à la fois dans les villes et dans les zones rurales, afin d’inciter la population à adopter de meilleures habitudes alimentaires. »

Elle insiste sur l’organisation de cette sensibilisation à tous les niveaux :

– Dans les écoles, pour éduquer dès le plus jeune âge ;
– Dans les entreprises, pour toucher les adultes actifs ;
– Au sein des communautés, pour renforcer les bonnes pratiques ;
– Au niveau national, avec une volonté politique affirmée.

Des solutions simples mais efficaces

La bonne nouvelle, c’est que les stratégies pour inverser cette tendance ne nécessitent ni technologies avancées ni investissements exorbitants. Elles reposent principalement sur un retour aux fondamentaux de l’alimentation équilibrée.

Il s’agit de privilégier six familles d’aliments essentielles :

– Fruits et légumes que l’on consomme quotidiennement ;
– Féculents, pour l’apport énergétique ;
– Produits laitiers ;
– Aliments d’origine carnée ;
– Un peu d’huile pour cuisiner ;
– Une consommation régulière d’eau.

Respecter les portions recommandées et apprendre à manger jusqu’à une sensation satisfaisante, sans exagération, sont aussi des éléments clés pour préserver sa santé. Limiter la friture à une fréquence d’une fois par semaine, tout en favorisant des modes de cuisson traditionnels plus sains, constitue une étape importante. De même, organiser ses repas sur la semaine, en intégrant systématiquement des légumes, permet d’adopter une alimentation plus équilibrée.

Le Dr Seck souligne : « Les professionnels de la santé cherchent à promouvoir ces habitudes, et plusieurs d’entre nous s’organisent pour agir. Mais cela ne suffit pas si l’engagement ne vient pas d’une volonté collective. »

Le temps presse. Chaque jour sans mesures concrètes soudaines rapproche davantage le Sénégal d’une crise sanitaire de grande ampleur. Contrairement aux épidémies classiques, qui frappent rapidement, cette crise nutritionnelle s’installe insidieusement, génération après génération, jusqu’à rendre irréversible une situation qui pourrait pourtant être évitée.

Le pays a encore une marge de manœuvre, mais pour combien de temps ? La question reste ouverte alors que la menace grandit, et que l’urgence de changer les comportements s’impose plus que jamais.