Avignon 2025 : Découvrez « La Distance » et le « Marswalk » de Tiago Rodrigues

12 juillet 2025

Une œuvre théâtrale d’une remarquable intensité signée Tiago Rodrigues

La création de Tiago Rodrigues, à la fois pour l’écriture et la mise en scène, s’impose comme une pièce d’une réussite exceptionnelle. Elle raconte l’histoire poignante d’une jeune fille ayant laissé à son père un message annonçant son départ vers Mars, ouvrant ainsi un nouveau type de dialogue entre eux. Nous sommes en l’an 2077, une époque où le changement climatique a réduit la planète bleue à un état critique. Face à cette détérioration environnementale, certains voient dans l’expansion vers la planète rouge la seule option pour bâtir un avenir meilleur. La pièce dépeint cet univers futuriste, à la fois réaliste et visionnaire, où la survie de l’humanité semble s’être définitivement déplacée au-delà de la Terre.

Une relation paternelle empreinte de tendresse et de solitude

L’histoire met en scène un père et sa fille qui s’aiment profondément et ont toujours été très proches. Leur lien est fort, tissé de complicité et d’affection sincère. Lorsque la jeune fille, Amina, lui laisse un message annonçant son départ imminent sur Mars, le père, incarné par Adama Diop, est complètement bouleversé. Son visage, vêtu d’un costume marron à plis et d’une cravate, reflète la dignité d’un homme érudit, professionnel et attentif à sa fille. Mais sa sensibilité est mise à rude épreuve par cette annonce inattendue. La première occasion pour lui de communiquer avec elle par message audio ne se présentera que dans cinq mois, après leur traversée de l’espace, ce qui ajoute à son désarroi. Le père s’interroge sans relâche, répétant : « Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? », incapable de comprendre cet éloignement d’un être qui lui est si cher.

Ce souvenir indélébile remonte à un passé où la planète était encore vivable. Avant la catastrophe écologique qui fit basculer la situation, il se remémore la plage et les instants d’insouciance partagés avec sa fille lorsqu’elle n’avait que sept ans, un souvenir qu’il a failli perdre lorsqu’elle a failli se noyer. Heureusement, il a pu la sauver de justesse. La peur de la perdre lui serre le cœur encore aujourd’hui, alors qu’il apprend la séparation définitive et irrévocable de sa fille.

Une communication dans l’espace : un début de message rassurant

Chaque échange entre le père et la fille commence par la formule : « Début de message ». Amina, souriante, lui assure : « Salut papa, tout va bien ! Ne t’inquiète pas trop. Je suis juste partie sur Mars, pas dans une autre galaxie ! ». Elle rit en précisant : « Ici, tout est incroyable… Quand tu ne vois plus la Terre, tu plonges dans l’inconnu ». Porteuse d’un hoodie blanc, la jeune femme parle avec une innocence et une spontanéité désarmantes. Elle évoque cette aventure spatiale avec une légèreté apparente, contrastant avec la gravité de leur situation. Sa peur la plus profonde n’est pas tant la distance infinie qui les sépare, mais la vision impuissante de sa planète natale en train de s’effondrer, jour après jour.

Une relation déjà distanciée avant cette séparation ultime

Amina souligne que leur lien a toujours été marqué par une distance autre que géographique. « On était déjà sur des planètes différentes », affirme-t-elle, mêlant désillusion et une pointe de révolte face à la croyance paternaliste de son père, qui souhaite encore croire en la possibilité de sauver la Terre de l’intérieur. Cependant, derrière cette déclaration, elle souhaite aussi se libérer de la peur excessive que son père a toujours eue pour elle, peur qui, jusqu’à présent, l’a paralysée dans ses décisions. Leur échange, malgré l’immense espace qui les sépare, devient une tentative sincère de rapprochement. La sincérité humaine, fragile mais essentielle, se révèle dans ces instants où ils cherchent à préserver leur lien, malgré la distance.

Une réalisation artistique à la fois sobre et renouvelée

La pièce excelle à tous les niveaux. Son texte, également écrit par Tiago Rodrigues, est d’une grande clarté et d’une beauté lumineuse. Les mots, à la fois futuristes et ancrés dans une réalité plausible, dessinent un univers crédible et touchant. La scénographie repose sur une simplicité qui renforce la puissance émotionnelle : un décor épuré, mais d’une justesse remarquable, contribue à maintenir le suspense et à faire naître l’imagination du spectateur. La mise en scène habile permet d’immerger le public dans cet univers tout en laissant place à la réflexion, à l’émotion et à la poésie. Au cœur de cette création, deux acteurs incarnent avec une rare intensité leurs personnages, étant profondément investis dans leur mission respective.

Tandis qu’Amina choisit de rejoindre les « Oubliantes », c’est-à-dire celles qui acceptent d’effacer toute mémoire liée à la vie sur Terre et participent à la « loterie de la reproduction », son père, quant à lui, s’accroche aux souvenirs familiaux. Il fige ses moments précieux—les albums de famille, des instants de bonheur, comme la chanson préférée de leur mère disparue—dans un recueil d’images et de sens. La scène forte, et intitulée « La Distance », se déroule autour d’un tronc d’arbre mort et d’un rocher, symboles de la planète rouge. Le père et la fille, tout en étant séparés par leur parcours et leur destin, se retrouvent réunis sur un plateau qui tourne comme un monde condamné à sa perte. La scène illustre à merveille cette dualité entre absence et présence, entre ancrage et nomadisme.

Une des inventions scéniques remarquables est la transformation du « moonwalk » de Michael Jackson en un « marswalk » signé Rodrigues, une métaphore visuelle poétique de cette marche vers l’inconnu, de cette exploration qui devient aussi une traversée intérieure. Le plateau mouvant, la symbolique de la scène et le jeu subtil des acteurs créent une atmosphère à la fois bouleversante et enivrante, laissant le spectateur face à une réflexion profonde sur l’amour, l’avenir et la fragilité de l’existence.