AD Cissokho présente son film dédié au Fespaco : une immersion dans l’univers du festival panafricain

16 juillet 2025

Raconter le Fespaco en 261 pages, tel était le défi que s’était lancé le journaliste et critique de cinéma sénégalais, Aboubacar Demba Cissokho. Dans son ouvrage intitulé « Fespaco. Par-delà les écrans », publié chez Baobab Editions, cet observateur chevronné s’immerge au cœur de l’un des festivals cinématographiques les plus prestigieux du continent africain.

De 2003 à 2025, Aboubacar Demba Cissokho a été un participant assidu du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, plus communément appelé Fespaco. À l’exception de l’édition de 2017, qu’il a manquée en raison de l’élection présidentielle sénégalaise, Cissokho, affectueusement surnommé Cisko ou encore Kibili, a suivi de près cet événement majeur dédié au cinéma africain. Ce vendredi, il a dévoilé cette œuvre lors d’une présentation à la Raw Material Company, face à une audience nombreuse et captivée. Tout au long de cette rencontre, l’auteur a plongé dans ses souvenirs, ses notes et ses articles pour illustrer le récit de ses expériences. Son livre, « Fespaco. Par-delà les écrans », qui compense par ses 236 pages, constitue une véritable mémoire vivante de cet événement.

Pour Cissokho, tout débute en 2003. Cette année-là, la présence du Sénégal au Fespaco est notable : ses films, notamment « Le Prix du pardon » de Mansour Sora Wade et « Madame Brouette » de Moussa Sène Absa, figurent en compétition. Le journaliste arrive à Ouagadougou le samedi 22 février 2003, afin de couvrir la 18e édition du festival. Ce voyage marque aussi la découverte de la capitale burkinabè, une cité sahélienne qui lui évoque immédiatement sa ville natale, Tambaounda. Ce lien sentimental, tissé dès ses premiers pas dans la ville, ne sera jamais rompu. L’année 2003 marque ainsi le début d’une aventure qui se poursuit encore aujourd’hui. L’émotion et la magie du lieu sont palpables, une magie que Cissokho aime partager avec tous ces professionnels du cinéma, qui se retrouvent à Ouaga tous les deux ans pour « se regarder dans le miroir ». « Depuis 2005, je me suis dit qu’il n’était plus question pour moi de rater le Fespaco, car j’estime que c’est une plateforme où nous pouvons discuter de nos affaires. Pour moi, c’est le plus grand festival au monde, malgré les difficultés. C’est là que l’on se regarde dans le miroir, que l’on se dit la vérité et, parfois, que l’on se fâche », confie le critique culturel de l’Agence de presse sénégalaise (Aps).

Après deux décennies de couverture de cet événement, il n’est pas surprenant qu’il aborde aussi les défis et obstacles liés au festival. « Cinéastes, critiques, journalistes, professionnels, on se dit qu’on ne reviendra plus à Ouagadougou. Que c’est devenu trop compliqué, qu’il y a trop de problèmes », raconte-t-il. Pourtant, chaque année paire, à la rentrée de septembre, de nombreux messages circulent pour savoir si l’on sera invité ou si l’on participera au Fespaco : « Alors, tu y vas cette année ? », s’interrogent régulièrement les passionnés. Cissokho évoque par ailleurs une édition particulière, celle de 1987, année où Thomas Sankara participait encore au festival, et où le cinéaste mauritanien Med Hondo remporta l’Étalon du Yennenga pour son film « Saraouinia ». La cérémonie est marquante, car le réalisateur ne se tient pas sur le podium pour recevoir son trophée. Cependant, à la fin de la soirée, Sankara et Hondo partageront un dîner, comme il était d’usage pour le président burkinabé de recevoir les lauréats. Malgré toutes ces contradictions, la dimension politique n’éteint pas l’enthousiasme des Burkinabè, qui restent profondément attachés à cet événement. « Il y a comme une magie qui fait que, malgré tout, les gens sont toujours enthousiastes », souligne Cissokho.

«Un guide essentiel pour cinéastes et critiques»

L’ouvrage de Cissokho rassemble une multitude de textes, d’articles, d’analyses et de chroniques qu’il a diffusés tout au long de sa carrière, que ce soit via l’Agence de presse sénégalaise, sur Facebook ou sur son blog de longue date, « Le grenier de Kibili ». En compilant ces écrits dans un seul livre, il crée ce qu’on pourrait appeler un « bréviaire » à destination des critiques et des cinéastes, selon l’opinion du professeur Ibrahima Wane, qui a assuré la présentation de l’ouvrage. Au fil des pages, l’histoire du Fespaco se dévoile à travers des faits concrets, des témoignages et des récits personnels. Le rôle de figures historiques comme Sembène Ousmane ou Tahar Cheriaa, ainsi que leur détermination à faire vivre le cinéma africain, occupent une place importante. « D’après Sembène, le Fespaco est un moment clé où l’on peut mettre en lumière les problématiques du cinéma africain, qui demeure un vecteur d’identité culturelle, même si le soutien des politiques se fait de moins en moins sentir », explique Cissokho, évoquant sa première rencontre avec Sembène lors du festival.

Les enjeux liés aux jurys et aux choix

En retraçant l’évolution du festival, Cissokho documente également l’histoire de ses différentes phases de développement. L’arrivée d’Alex Moussa Sawadogo à la tête de la délégation générale a apporté un souffle de modernité, notamment par la création d’un comité de sélection pour mieux circonscrire le processus de choix. Cependant, le travail des jurys reste souvent sujet à controverse. Entre la déception des cinéastes dont les œuvres n’ont pas été sélectionnées ou primées, les partis pris exprimés par certains critiques ou spectateurs, l’enthousiasme populaire et parfois les enjeux politiques qui se mêlent au débat, le résultat des palmarès demeure une source de débats intenses. « Les décisions du jury soulèvent souvent des interrogations sur leur adéquation esthétique et technique, mais on observe aussi des surprises où l’on voit la fermeté du jury face à différentes pressions internationales et politiques », souligne Cissokho. Parmi ces épisodes, il évoque la désillusion d’Abderrahmane Sissako en 2015, lorsque ce cinéaste, auréolé de sept César pour son film « Timbuktu », n’a reçu qu’un Prix du décor à Ouagadougou. Une ironie mordante, car le jury a voulu affirmer son indépendance et sa souveraineté, une démarche que Cissokho considère comme emblématique de l’esprit du festival.

En parcourant les pages, le lecteur trouve une chronique sincère et critique, enrichie de nombreuses anecdotes tirées de la longue expérience de l’auteur dans l’enceinte du festival. Que ce soit en tant que passionné, critique ou membre du jury, Cissokho offre une vision fidèle et souvent farouche de cet événement qui, malgré les crises et les menaces (coup d’État, terrorisme, pandémie de Covid-19), continue de perdurer année après année. Dans sa préface, l’ancien ministre de la Culture et ancien délégué général du Fespaco, Filippe Savadogo, souligne qu’en lisant cet ouvrage, « on apprend l’histoire, l’évolution et l’avenir du festival », une façon d’inscrire cette œuvre dans une démarche pédagogique pour toutes les générations concernées.