Le 25 janvier 2009, le Sénégal perdait l’un de ses plus grands hommes d’État, Mamadou Dia, une figure incontournable de l’indépendance nationale. Si son héritage a été pendant longtemps effacé des mémoires collectives, son image de pionnier de la résistance politique, mais aussi de visionnaire, est aujourd’hui remise en lumière. À travers les épreuves et les tempêtes politiques qu’il a traversées, Mamadou Dia incarne une page importante de l’histoire sénégalaise, une histoire marquée par la quête de souveraineté économique et la volonté de bâtir un État véritablement indépendant.
L’homme politique : Radicalité et confrontation avec le pouvoir
Mamadou Dia naît le 18 octobre 1910 à Khombole, dans le département de Thiès. Très jeune, il montre des aptitudes pour l’étude, poursuivant ses études jusqu’à l’École normale William-Ponty, où il se forme pour devenir instituteur. Cette carrière dans l’éducation aurait pu définir son avenir, mais c’est un engagement politique qui, plus tard, le propulsera sur la scène nationale. Il rejoint Léopold Sédar Senghor au sein du Bloc démocratique sénégalais (BDS) en 1948 et devient une figure montante de la politique sénégalaise.
Son ascension est marquée par son rôle de président du Conseil des ministres, qu’il occupe à partir de 1956, un poste qu’il conserve jusqu’à la veille de l’indépendance en 1960. C’est à ce moment qu’il s’impose comme un leader charismatique, avec des idées novatrices, axées sur une politique de rupture par rapport à l’ancien colonisateur. Mamadou Dia incarne le socialisme autogestionnaire, une vision de l’indépendance économique fondée sur la souveraineté et la rupture avec l’héritage colonial, notamment par la réforme des structures agricoles.
Ses désaccords avec Senghor, son collègue et ami de longue date, se font de plus en plus perceptibles. Tandis que Senghor, influencé par sa formation intellectuelle et ses liens avec la France, cherche à maintenir des relations étroites avec l’ancienne puissance coloniale, Mamadou Dia défend une indépendance politique et économique plus radicale. Ces divergences éclatent au grand jour en 1962, quand une motion de censure contre son gouvernement, menée par des proches de Senghor, provoque une crise au sein du gouvernement sénégalais.
Refusant de se laisser déstabiliser, Mamadou Dia demande l’intervention de la gendarmerie à l’Assemblée nationale pour protéger son gouvernement. Toutefois, cette tentative de résistance échoue et, le 18 décembre 1962, Dia est arrêté pour « tentative de coup d’État ». Ce sera le début de douze longues années d’incarcération, où le « grand baobab habité par un peuple d’oiseaux », pour reprendre l’expression de Joseph Ki-Zerbo, subira les affres du système politique sénégalais, toujours sous la main de son ancien allié devenu rival, Léopold Sédar Senghor.
Un emprisonnement lourd de sens
La condamnation de Mamadou Dia à perpétuité en 1963 est un choc. Il est alors vu comme un homme politique trop radical, une personnalité qui, en prônant un socialisme plus exigeant, défie les normes politiques de son époque. Mais au-delà de la peine de prison, cette condamnation traduit une lutte idéologique de grande ampleur. Mamadou Dia représente une vision alternative de l’indépendance, celle d’une souveraineté totale, loin des compromis et des concessions avec l’ancienne puissance coloniale. Ses idées étaient trop avant-gardistes pour une époque marquée par la nécessité d’établir des liens diplomatiques et économiques solides avec les anciennes métropoles.
Sa libération en 1974, après douze années de détention, le voit revenir dans la sphère politique sénégalaise. Toutefois, il peine à recouvrer l’influence qu’il avait auparavant. Le système politique de l’époque, dominé par le Parti socialiste de Diouf et par l’héritage de Senghor, rend difficile pour lui de se faire une place de choix dans le paysage politique du pays.
La réhabilitation de la mémoire
Pendant plusieurs décennies, Mamadou Dia a été une figure largement occultée par la mémoire officielle du Sénégal. L’histoire de l’indépendance nationale s’est largement construite autour de la figure de Léopold Sédar Senghor, le « poète président » qui a incarné une forme d’unité nationale, marquée par sa modération politique. Mamadou Dia, perçu par certains comme un homme trop radical, a ainsi été relégué dans l’ombre de l’histoire officielle.
Cependant, à partir des années 2000, la situation commence à changer. Abdoulaye Wade, élu président du Sénégal, rend hommage à Mamadou Dia, soulignant son rôle important dans la construction du Sénégal moderne. L’héritage de Dia est peu à peu redécouvert par la jeunesse sénégalaise, qui, à la recherche de modèles de gouvernance alternative, se tourne vers cet homme au parcours de résistance et de lutte pour l’indépendance totale du pays.
En 2019, le président Macky Sall décide de renommer le building administratif de Dakar en son honneur. Cette initiative, bien que symbolique, marque un tournant dans la réhabilitation de son image. Des efforts sont également menés pour préserver son héritage intellectuel et politique. La Fondation Mamadou Dia pour l’économie humaine, dirigée par Moustapha Niasse, joue un rôle essentiel dans ce processus.
Une figure transversale : La portée de son héritage
L’héritage de Mamadou Dia dépasse aujourd’hui les clivages politiques. Alors qu’il fut longtemps perçu comme un homme politique trop radical et isolé, son image a aujourd’hui une portée plus large. En 2022, la ville de Thiès a inauguré une plaque commémorative en son honneur. Un geste symbolique fort pour honorer la mémoire de celui qui fut un des premiers à revendiquer une véritable indépendance économique pour le Sénégal.
Les mouvements politiques contemporains, notamment le Pastef-Les Patriotes d’Ousmane Sonko, se réclament de l’héritage de Mamadou Dia. Son discours sur la souveraineté économique, son rejet des compromis et son refus de la dépendance vis-à-vis de la France résonnent encore dans les revendications actuelles. Les jeunes générations, fascinées par son intégrité et sa vision politique, adoptent de plus en plus ses idées sur la nécessité de réformer les structures héritées de la colonisation.
Mamadou Dia, un « baobab » intemporel
Mamadou Dia est aujourd’hui considéré comme un véritable symbole de la résistance, de la rigueur morale et de la lutte pour la souveraineté économique. Son parcours témoigne d’une vision claire : celle d’un Sénégal totalement indépendant, en rupture avec les logiques de dépendance héritées de la colonisation. Soixante-deux ans après sa chute, l’homme, tel un baobab, demeure un arbre-roi de la politique sénégalaise, dont l’héritage continue d’inspirer de nouvelles générations.
En mourant le 25 janvier 2009, Mamadou Dia a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de notre pays. Son combat pour un Sénégal indépendant, souverain et juste reste un modèle de résistance à toute forme de compromission, un modèle qui défie l’oubli et la manipulation de la mémoire. Le « premier Mawdo » reste, pour l’Afrique et le Sénégal, une référence intemporelle.